Storicamente. Laboratorio di storia

Dossier

Les années de plomb en Italie: la peur, miroir de la violence politique

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Abstract
Gli anni Settanta in Italia sono associati ad un clima di paura, evidente nelle note espressioni quali “Gli anni di piombo”, “terrorismo” e “strategia della tensione”. Ma come possiamo definire queste “paure” più precisamente, distinguendo tra le differenti cause, intensità e tempi? Tali paure devono sia essere contestualizzate all'interno della vasta contrapposizione ideologica della Guerra fredda, sia analizzate nelle particolarità della violenza politica nell'Italia degli anni Settanta: alcuni gruppi, ricorrendo a approcci diversi, cominciarono a usare la violenza con lo specifico obiettivo di instaurare un clima di paura.

The 1970's in Italy are associated with a climate of fear, evident from well known expressions such as “The Years of Lead”, “terrorism” and “tension strategy”. But how can we define these fears more precisely, with their varying origins, intensities and chronologies? These fears have to be understood in the context of the vast ideological oppositions of the Cold War, but the political violences in the 1970's in Italy are also particular: some groups, with a variation of approaches, began to use violent methods with the specific aim of installing a climate of fear.

Introduction

Les années 1970 en Italie sont identifiées à un imaginaire de violence, volontiers représenté de manière romanesque ou romantique (parmi une abondante production, citons le récent film de Renato De Maria, La prima linea, sorti en 2009), parfois saisi dans toute son horreur («Le viol», monologue de Franca Rame racontant en 1975 son agression [Fo, Rame 1986, 209-215]). La violence politique semble en effet proliférer: pas moins de 13 000 attentats en 13 ans (de 1969 à 1982) sont recensés, pour un total de 362 victimes [1] [Della Porta, Rossi 1984], une vague de violences sans équivalent dans le monde occidental contemporain, tant par son intensité que par sa durée. Ce phénomène est d'autant plus incontournable que les acteurs ont produit, consciemment ou à leur corps défendant, des images marquantes qui ont traversé les décennies: photographies de manifestations à l'allure insurrectionnelle, cadavre d'Aldo Moro dans une 4L, wagons éventrés et corps enveloppés de draps blancs alignés sur des quais de gare [Almeida (d') 2010, 209-231]. La référence à la peur est du reste explicite dans une série de dénominations largement employées: «terrorisme», «stratégie de la tension», «années de plomb» voire «années de l'inquiétude [2]» [Colarizi 2010, 127-131]. Autant de termes qui suggèrent la diffusion du sentiment d'insécurité dans l'Italie des années 1970, mais qui ne permettent pas d'entrer dans les détails de cette peur, considérée comme une évidence.

Une étude des différentes représentations socialement construites qui ont généré des peurs diverses, et plus globalement des réactions de la société civile comprise de la manière la plus large possible, confrontée aux «terrorismes», n'a pas encore été entreprise [3]. C'est que la peur, cet élément central dans la compréhension des années 1970 en Italie, reste un élément difficile à saisir. S'agirait-il d'une exagération, d'un poncif à démonter? D'une illusion rétrospective, comme semble le dire Éric Vial: «s'il n'y avait pas eu de morts, manifestants ou policiers, on parlerait de folklore, plus pris au sérieux en France que sur place» [Vial 1999, 377]? Un terme symbolise le risque de simplification qui menace la description du «climat» de ces années: c'est celui d'«années de plomb», de plus en plus couramment utilisé jusque dans des travaux historiques [Lettieri 2008], qui n'est pas sans poser problème: il date du film de Margarethe von Trotta, Die bleierne Zeit, sorti en 1981, et est donc rétrospectif, renvoyant à l'origine seulement à la deuxième partie de la décennie. Cette expression concourt donc à réduire une décennie de luttes sous toutes ses formes à l'image d'une société uniformément victime des violences politiques, des «extrémismes», dont on a tendance à ne retenir que les éléments les plus saillants.

Le fait que la violence politique ait été de prime abord étudiée sous l'angle des acteurs des violences, ou des causes qui ont permis l'irruption de la lutte armée, avec en filigrane la question de savoir pourquoi ce phénomène des violences politiques a touché précisément l'Italie plutôt qu'un autre pays, explique aussi la relégation au second plan de la question de la peur. Celle-ci est souvent englobée dans l'étude du «terrorisme» et le «terrorisme» lui-même est le plus souvent réduit à un usage banalisé du terme, dans une définition qui déconnecte la violence politique de son environnement social, pointe une violence «pathologique», assimilée à une dégénérescence du militantisme. C'est une lecture qui externalise les questions de la violence politique. Étudier le problème des violences politiques «au miroir de la peur», c'est au contraire chercher à valoriser une approche globale du phénomène des violences politiques et de sa réception, du contexte qui a permis l'émergence du «terrorisme» en tant que phénomène social complexe. Il s'agit en particulier de comprendre comment la société italienne dans son ensemble a vécu au rythme de la peur – ou non. Quelle est l'influence sur la vie publique et politique, sur les choix démocratiques, de cette pression effectuée par la conflictualité sociale et par le haut niveau de violence politique?

Le défi de la peur

La définition que donne le dictionnaire Le Robert indique que la peur est un «phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d'un danger réel ou imaginé, d'une menace». Ce qui prime donc, quand on parle de peur, c'est la sensation de menace, et non la qualité, réelle ou imaginaire, petite ou grande, du danger. On pourrait même dire qu'il y a, avant même la peur, un imaginaire de la peur. On a peur quand on a identifié une menace, mais aussi quand le danger a été «imaginé», mis en image. On a peur de ce qui a été construit socialement comme une menace: la peur a donc ontologiquement une dimension collective.

Aristote, dans l'Éthique à Nicomaque [De Courcelles 2006], donne une définition plus lapidaire de la peur: elle est «l'attente du malheur». Là encore on voit le rôle de l'imaginaire, et l'aspect un peu irrationnel de la peur, qui, si elle n'est pas contenue, devient envahissante: on peut s'attendre à un malheur, de quelque nature qu'il soit, à chaque instant. Le problème posé par la peur est donc lié aussi à la faculté de se rassurer et/ou d'être rassuré; dans le cadre de peurs collectives, partagées, la peur met au défi les collectivités, confrontées à la nécessité de rassurer [Febvre 1956]. Ce qui pose, dans un cadre démocratique, la question de la confiance ou de la défiance envers les institutions, envers l’État, défi politique majeur: à la tentative de diffuser un climat de peur pour influer sur les orientations politiques, dans un sens ou dans un autre, répond la réaffirmation de la légitimité d’État (ce qui ne va pas de soi, en Italie, pour nombre d'intellectuels).

L'ère du soupçon

Le contexte des années 1970, particulièrement en Italie, est propice à une prolifération d'imaginaires de peur de natures variées. Ce contexte idéologique, lié en particulier à un climat de Guerre froide qui se prête à la diabolisation de l'ennemi, aux suspicions de complots [4], permet de comprendre que ces peurs dominantes dans les années 1970 sont en partie conditionnées par des représentations héritées. Certains événements, notamment l'attentat du 12 décembre 1969 à Piazza Fontana à Milan, est lu par les uns, dans un premier temps, comme la concrétisation du danger anarchiste, et par les autres comme la manifestation d'un dangereux doppio Stato aux mains des activistes néofascistes, et comme la première manifestation de la «stratégie de la tension [5]».

Du côté de l'opinion conservatrice, la matrice principale des peurs politiques est l'anticommunisme, sur lequel se construit une bonne partie de la rhétorique de la DC et de la droite de la DC. Sa première cible est le Parti communiste italien, soupçonné en permanence de «double jeu», c'est-à-dire d'être, malgré son apparent soutien aux institutions démocratiques affiché à partir de 1944, un véritable cheval de Troie de Moscou, œuvrant en sous-main pour soutenir une subversion antidémocratique. On peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point ce n'est pas en partie ce soupçon qui pousse le PCI à surenchérir dans son attitude légaliste dans les années 1970. Les peurs générées par la forte conflictualité sociale ou par l'agitation des étudiants ou anarchistes (souvent appelés cinesi, «chinois», par la presse), sont aussi liées à cet anticommunisme.

Mais il existe en parallèle un soupçon spéculaire présent dans les milieux de gauche: le soupçon de collusion entre la DC, le «parti américain», et la CIA, qui, par anticommunisme, soutiendrait des tentatives de coup d’État antidémocratiques sur le modèle de celui des colonels d'avril 1967 en Grèce. Cela donne lieu à une véritable «paranoïa du coup d’État» [Della Porta 2010], qui pèse sur les espoirs de la gauche d'arriver au pouvoir légalement et démocratiquement. Une nouvelle fois, cette peur est un héritage, au moins de la deuxième moitié des années 1960, avec les trois tentatives de coup d’État en 1964 (Piano Solo, révélé au public en 1967), en 1970 (Golpe Borghese) et en 1974 (Golpe bianco). À chaque fois, ces actions sont plus conçues comme des actes d'intimidation que comme de véritables tentatives de coups d’État [Guerrieri 2008], provoquant de larges campagnes de presse qui tentent d'éclaircir le mystère inquiétant qui les entoure. Le but de ces actions semble bien être de répandre l'idée que des réseaux anticommunistes puissants sont prêts à (ré)agir en cas de victoire de la gauche ou de forts mouvements sociaux, donc dans un but d'intimidation.

Les travaux de Guido Panvini [2009] montrent que le climat de peur existe avant le début de la «stratégie de la tension», que l'on date généralement de l'attentat de Piazza Fontana le 12 décembre 1969. Dans cette optique, «la peur d'un coup d’État a été un élément important dans la détermination et la diffusion d'un climat de tension [6]». Ce climat de peur est toutefois loin d'être homogène: Guido Panvini cite ainsi des témoignages qui relativisent cette crainte du coup d’État, comme cet article du journal trotskiste Bandiera Rossa datant du 15 mars 1969: «En ce qui nous concerne, nous ne croyons pas que la situation rende possible la version la plus sombre d'une répression généralisée, et encore moins croyons-nous que l'Italie soit à la veille d'un coup d’État [7]».

Mais au-delà de ces menaces, la fin des années 1960 favorise la radicalisation des figures de l'ennemi, délégitimé par des moyens de propagande efficace [Ventrone 2005]. Il y a la tentation, dans les secteurs radicaux (mais pas seulement), de passer de la figure de l'adversaire à celle de l'ennemi, dans un affrontement qui n'est plus démocratique mais violent. La volonté de faire peur s'inscrit dans ce dessein, dans le cadre d'une radicalisation de l'affrontement politique. Le slogan d'une association d'extrême-droite, Amici delle Forze Armate, en témoigne. Un de ses mots d'ordre, scandé au cours des manifestations, après l'accentuation de la répression en Turquie en mars 1971, est: «Ankara, Athènes, et maintenant au tour de Rome! [8]». Dans ce cas, la référence au contexte géopolitique mondial est interprétée comme une menace exhibée ou combattue, de la même manière que les militants de la gauche radicale brandissent la menace des guerres révolutionnaires, au Vietnam comme en Amérique du Sud. La radicalisation politique entraîne une volonté de faire peur et de menacer l'ennemi d'élimination.

La peur, un objet pour les sciences sociales

La peur, objet d'histoire problématique

Travailler une émotion comme la peur ne va pas de soi: Raymond Aron [1967, 33] qualifiait la peur de «sentiment élémentaire et pour ainsi dire infrapolitique», mettant l'accent sur son «caractère affectif marqué», et donc changeant et instable, difficile à expliquer rationnellement, donc à historiciser. On aurait là un objet mobile et sans consistance, qui échapperait presque à l'empire des mots. Pourtant, la peur n'est pas un objet d'histoire neuf, et l'histoire des représentations a cherché à inscrire la compréhension des mécanismes des émotions et des sentiments, dont la peur, dans l'évolution des sociétés et des rapports politiques. Lucien Febvre [1956], a joué le rôle de précurseur, en tentant de cerner l'articulation des peurs matérielles et eschatologiques au Moyen-âge.

Histoire sociale mais aussi politique, donc, tant il est vrai que la gestion de la polis, des affaires de la communauté, est intimement liée, depuis l'origine, à l'organisation du besoin de sécurité, dans ce que Jean Delumeau appelle une longue «lutte contre la peur», affirmant que «non seulement les individus pris isolément, mais aussi les collectivités et les civilisations elles-mêmes sont engagées dans un dialogue permanent avec la peur» [Delumeau 1978]. Depuis cet ouvrage fondamental de Delumeau, de nombreuses études ont insisté sur le rôle des représentations et de l'identification des menaces dans le déclenchement des violences religieuses [9] ou populaires [10]. Ces travaux montrent que la peur, loin d’être seulement une réaction, est un acteur majeur de l'Histoire.

Un renouvellement autour des émotions collectives

La peur est également un objet d'étude en plein renouveau pour les sciences sociales, en particulier les sciences politiques, autour de la question des «émotions collectives». Dans un article récent, Isabelle Sommier [2010] souligne que les théoriciens de l'action collective (en particulier Charles Tilly et, pour la situation italienne, Sidney Tarrow [1990]) ont eu tendance, en cherchant à comprendre les raisons qui poussent certains groupes à se rebeller, à organiser des contestations, à rejeter le secteur des émotions. L'accent a donc été mis sur les logiques rationnelles, supposant de la part des acteurs un calcul en fonction de la situation politique et institutionnelle. Cette perspective avait le mérite de tenter d'expliquer pourquoi, dans des situations vécues comme injustes, certains groupes avaient la volonté d'organiser des révoltes et d'autres non, rompant aussi avec une explication des luttes ou des violences en terme de «frustration».

Or les émotions sont aussi un fort facteur de radicalisation, de mobilisation. Les groupes militants s'organisent ainsi non seulement quand la situation de crise ne semble pas permettre d'amélioration dans le cadre d'un fonctionnement institutionnel et politique habituel, mais bien aussi lorsqu'ils ont l'impression que la mobilisation sera suffisamment forte ou que le pouvoir sera suffisamment faible pour déboucher sur une issue positive. La peur elle-même peut engendrer dans un premier temps une paralysie, un effroi stérilisant, mais porte souvent aussi à une «sur-compensation» [Sommier 2010, 195], facteur de violence, de radicalisation.

Les travaux de Joanna Bourke [2003; 2006], dans une perspective historique, se situent également dans cet effort d'articuler peurs individuelles et cultures de peurs collectives. L'étude concerne à la fois les représentations liées à des menaces sociales comme l'apparition de maladies inconnues ou la peur des extraterrestres, que l'«hystérie» anti-communiste aux États-Unis, les ravages liés aux violences de guerre, et le terrorisme. Une nouvelle fois, la peur apparaît déconnectée de la dangerosité de la menace: la construction sociale d'un danger, et la peur qui en résulte, sont le résultat d'évolutions culturelles complexes.

La manière dont se cristallisent les émotions semble donc bien une piste d'étude pour comprendre les violences politiques, à la fois dans le contexte du micro, des dynamiques culturelles individuelles façonnées en partie par des logiques de groupe, et dans des interactions avec la société, en terme de débat public.

À la recherche de la peur

Tracer plus précisément les contours de ces émotions collectives implique pour l'historien de tenter de multiplier les angles d'approche. La peur reste un objet fragmenté, qui ne laisse pas forcément beaucoup de traces: on préfère par exemple affirmer qu'on ne se laissera pas intimider. La mémoire elle-même se modifie et ne garde pas nécessairement de souvenirs de cette peur.

Les sources institutionnelles peuvent permettre de cerner la manière dont les appareils de l’État réagissent à des épisodes de violence politique. À ce titre, les rapports des préfets, envoyés au cabinet du ministre de l'Intérieur, sont une source privilégiée pour étudier la manière dont ces hauts fonctionnaires mettent en forme la réalité, dans une vision qui reflète en particulier l'opinion de ceux qui sont en demande d'ordre, notamment la bourgeoisie conservatrice [11]. Les sources émanant des archives des partis politiques et les archives parlementaires conservent les traces des débats politiques, et donc de la nécessité de répondre au défi de la peur, mais aussi, peut-être, de l'instrumentaliser. La presse est aussi témoin de la manière dont le monde politique se confronte au défi de la peur: les médias constituent une source incontournable par leur capacité à développer une lecture des événements qui contribue à mettre en forme un climat consécutif aux actes de violence. Enfin, les témoignages publiés ou oraux sont un complément irremplaçable, même s'ils portent la trace de reconstructions parfois difficiles à débrouiller [Sommier 1998, 25].

L'analyse tente d'identifier des cultures sociales et politiques différentes qui ne renvoient pas aux mêmes objets de peur, qui ont des connotations diverses et parfois contradictoires en fonction, notamment, des différentes couches sociales, du milieu urbain ou rural, ou du degré de politisation du moment. Enfin, aspect important, ces perceptions ne sont pas statiques et évoluent au cours de la décennie; en particulier, elles accompagnent la succession d'actes de violence qui ont pour but de diffuser la peur.

La fabbrica della paura [12]: une nouvelle stratégie de peur spectaculaire

La peur comme arme politique: stragismo contre violence pédagogique

Les années 1970 voient la naissance de nouveaux acteurs qui se donnent comme objectif explicite d'utiliser la peur comme arme politique. Il y a peu de textes programmatiques, mais ces stratégies connaissent des mises en œuvre dont les modalités et les chronologies se différencient.

La première forme de violence politique qui se manifeste a pour matrice la droite radicale. Elle agit par anticommunisme d'abord, mais vise aussi, au-delà, une transformation de la société dans un sens autoritaire et l'établissement d'un pouvoir fort. Une note, trouvée par un journaliste de l'hebdomadaire L'Europeo [13] en 1974 dans les papiers de l'Aginter Press à Lisbonne, fausse agence de presse qui est en réalité un groupe informel lié au régime de Salazar et aux centrales terroristes néofascistes, notamment en Italie à Ordine Nuovo ou Avanguardia Nazionale, permet d'éclairer l'arrière-plan idéologique de la mise en place de cette violence extrême. Signé par un ancien de l'OAS, ce document, rédigé en français, s’intitule «Notre action politique». On y lit notamment:

Nous pensons que la première partie de notre action politique doit être de favoriser l'installation du chaos dans toutes les structures du régime. […] Cela apporte une situation de forte tension politique, de peur dans le monde industriel, d'antipathie envers le gouvernement et tous les partis […]. À partir de cet état de fait nous devrons rentrer en action dans le cadre de l'armée, de la magistrature, de l'église, afin d'agir sur l'opinion publique et d'indiquer une solution et de montrer la carence et l'incapacité de l'appareil légal constitué.

Ce document objective les fondements de ce qui a été appelé dès 1969 la «stratégie de la tension». Son objectif est de créer une situation de désorganisation, provoquant l'impression que l’État est incapable de protéger. Cette désorganisation devrait amener l'opinion publique à demander des mesures fortes de limitation des libertés publiques. Dans ce cas, la peur tire son origine moins de la menace d'être atteint dans son intégrité physique, personnelle, que de la perspective d'une destruction du régime démocratique, d'une diffusion de l'anarchie. Même s'il s'agit d'un document non daté qui ne peut nullement être considéré comme un programme d'action, ce document porte la trace de la matrice idéologique de la méthode du «stragismo [14]» appliquée en Italie, de manière discontinue et par des groupes pas nécessairement coordonnés, de 1969 à 1980, et des répercussions politiques recherchées.

Ce document indique une volonté consciente de diffuser en Italie un climat de peur par de nouvelles techniques de guerre non-conventionnelle, qui ont été diffusées en Italie dès les années 1960 par des courants de droite nationaliste et anticommuniste. Celle-ci dispose de relais dans les services secrets et l'armée, dont une manifestation bien connue est le colloque organisé par l'Istituto Alberto Pollio en mai 1965 à Rome, au cours duquel des anciens membres de l'OAS viennent détailler de nouvelles techniques de «guerre révolutionnaire» impliquant le meurtre de civils innocents au cours d'attaques terroristes massives. Le groupe Ordine Nuovo, fondé par Pino Rauti en 1954, joue un rôle important dans la théorisation et la mise en pratique de ces stratégies. On peut lire ainsi dans les Quaderni di Ordine Nuovo sous la plume de Clemente Graziani, un des leaders d'Ordine Nuovo, que le combat contre le communisme «implique la possibilité de tuer, des vieux, des femmes, des enfants. Ces formes d'intimidation terroriste sont, aujourd'hui, non seulement considérées comme valables, mais, parfois, absolument nécessaires pour la réalisation d'un objectif précis [15]». Un autre groupe, celui de la revue Quex, proche du néofasciste Mario Tuti, justifie dans des termes similaires la pratique des attentats, la comparant aux bombardements de certaines villes pendant la Seconde Guerre mondiale dans le but de démoraliser l'ennemi [Guzzo 2008, 50].

La mise en place de ces théories implique un brouillage des différences entre guerre et paix, civils et militaires, et entraîne véritablement une «brutalisation» de toute la société, considérée comme un vaste champ de bataille. Vincenzo Vinciguerra, poseur de bombes néofasciste condamné pour le massacre de Peteano [16], dans un entretien avec le journaliste Sergio Zavoli [1992], revendique d'ailleurs cette «guerre contre l’État» selon des méthodes «non-orthodoxes», qui a «pour objectif les cerveaux, les consciences, les cœurs et les âmes des hommes, et non les territoires [17]». Il s'agit bien de techniques d'«intimidation terroriste», dont le but est de faire peser une menace, de prendre en otage la société tout entière, de diffuser un climat de guerre totale.

Le moyen pour atteindre cet objectif passe par la mise en œuvre d'attentats frappant à l'aveugle, provoquant des massacres non revendiqués qui ont pu être imputés aux organisations d'extrême-gauche. Le recours à l'homicide s'inscrit alors dans une volonté de choquer par des actions spectaculaires. Dans la pratique, cela a fonctionné à la perfection pour les bombes du 12 décembre 1969 à Milan et à Rome, mais, très vite, notamment grâce à la mise en place d'une controinformazione militante [18], l'origine réelle des bombes devient manifeste. Le massacre de Piazza della Loggia, à Brescia le 28 mai 1974, est du reste revendiqué par Ordine Nero. On observe un certain essoufflement de la stratégie stragista après 1974, qui frappe pourtant encore une fois en août 1980 à la Gare de Bologne.

L'objectif de cette «stratégie de la tension», qui consiste paradoxalement à «déstabiliser pour stabiliser» [Rayner 2010, 41], a fonctionné partiellement en intimidant la gauche. En témoigne une des justifications majeures qu'apporte Enrico Berlinguer à la démarche de rapprochement du Parti communiste avec la Démocratie chrétienne, passé à la postérité sous le nom de «compromis historique», dans une série d'articles parus dans le mensuel communiste Rinascita en septembre et octobre 1973 sous le titre évocateur de «Riflessioni sull'Italia dopo i fatti del Cile». Berlinguer explique que la stratégie de rapprochement avec les grandes forces démocratiques du pays, socialistes comme démocrates-chrétiens, est la seule manière de mener une politique progressiste, la virulence des forces conservatrices en Italie excluant l'arrivée au pouvoir de la gauche. Ce mouvement en direction du parti au pouvoir porte la trace des conséquences psychologiques du coup d’État au Chili contre Allende en 1973, mais aussi de la «stratégie de la tension» menée depuis plusieurs années dans la péninsule. On pourrait toutefois nuancer cet argument, qui sert aussi de moyen pour le secrétaire de PCI pour justifier le virage politique entamé, qui s'inscrit dans le cadre d'une stratégie de long terme. Toutefois, le fait que cet argument soit reçu, qu'il ait un certain poids, montre qu'une peur d'une réponse radicale contre-révolutionnaire en cas d'une arrivée au pouvoir du PCI par les voies légales reste très présente.

De manière contemporaine à la «stratégie de la tension», se mettent en place des pratiques violentes qui visent également la diffusion d'un climat de peur, mais selon des modalités très différentes [19]. Il s'agit notamment des Gruppi d'Azione Partigiana (GAP) de Feltrinelli, qui se forment en 1970, puis des Brigades Rouges (BR), qui naissent aussi au cours de l'année 1970. Cette lutte armée révolutionnaire se met en place plus progressivement et de manière ciblée, nominative et revendiquée, pensée comme la vitrine publicitaire d'un combat dans le but d'obtenir un écho médiatique.

L'origine de la lutte armée mise en place par la gauche radicale permet d'en comprendre la nature: les rapports de force au sein de l'usine en sont la matrice. Les BR, par exemple, naissent comme réponse à une situation vécue comme une domination exercée par le chef, le cadre sur l'ouvrier, avec l'idée de dépasser les cadres traditionnels de la lutte syndicale. C'est particulièrement vrai pour la première phase d'activité des BR, avant la début de la phase dite «insurrectionnelle» (1974-75). Le témoignage de Prospero Gallinari [Levi Boucault 2011], membre de la première heure du groupe armé, présente les premières actions des BR comme la tentative de peser dans l'alternative suivante: «c'est l'ouvrier qui doit craindre le contre-maître ou c'est le contre-maître qui doit craindre l'action des BR?», dans une sorte de système d'intimidation réciproque, la peur devant changer de camp.

Qu'est-ce qui est à l'origine de cette peur à l'usine? Une analyse de Robert Linhart [1978, 67-68] décrit la peur comme faisant «partie de l'usine»:

Et puis, il y a la peur. Difficile à définir. Au début, je la percevais individuellement, chez l'un ou l'autre. […] Mais, avec le temps, je sens que je me heurte à quelque chose de plus vaste. La peur fait partie de l'usine, elle en est un rouage vital. Pour commencer, elle a le visage de tout cet appareil d'autorité, de surveillance et de répression qui nous entoure: gardiens, chefs d'équipe, contremaîtres, agent de secteur. […] Pourtant, la peur, c'est plus encore que cela: vous pouvez très bien passer la journée entière sans apercevoir le moindre chef […], et malgré cela vous sentez l'angoisse toujours présente, dans l'air, dans la façon d'être de ceux qui vous entourent, en vous même.

C'est donc un ensemble de mesures de contrôle, de sanctions allant jusqu'au licenciement, de mesures de rétorsion prises contre les ouvriers considérés comme récalcitrants, qui définit un système de pouvoir qui pèse sur les ouvriers et pour les plus politisés, peut motiver un passage à une lutte violente contre le système de l'usine.

Les premières actions des BR se situent dans cette volonté de renverser le rapport de force psychologique dans l'environnement de travail, qui se traduit par des actions de sabotage dans les usines, ou des attaques matérielles (contre les voitures des cadres) ou physiques (agressions). Dans tous les cas, ces attaques sont revendiquées par des tracts. La peur a alors un visage pédagogique: lors du premier enlèvement organisé par les BR, qui concerne un dirigeant d'une unité de production de Siemens, Idalgo Macchiarini, est diffusée une photographie de l'otage, une pancarte autour du cou, qui porte l'inscription: «Rien ne restera impuni! En frapper un pour en éduquer cent!» [Matard-Bonucci 2010, 20]. La peur est vue comme un outil efficace «d'éducation», dans le langage des BR. Cette tactique se situe toujours dans un usage ciblé de la peur, et non d'une peur aléatoire. En ce qui concerne Macchiarini, par exemple, la cible est choisie avec soin parmi les cadres les plus intransigeants; il est aussi suspecté de sympathies avec le MSI. L'objectif est donc de soumettre à la peur les patrons, assimilés à des fascistes, afin de renverser ce qui est défini comme une violence de classe.

La peur, une stratégie publicitaire

La volonté de revendiquer l'acte avec le maximum d'écho conduit à développer une sorte de stratégie publicitaire, caractérisée par une phraséologie, un langage stéréotypé qui forment les fameux «communiqués» des BR et qui participent d'un «marketing» de la peur. Plusieurs études signalent le caractère répétitif des textes produits par les acteurs des groupes armés pratiquant la violence dans un but «révolutionnaire» et le succès de leur stratégie de communication, depuis l'essai précurseur d'Alessandro Silj [1978] jusqu'à l'ouvrage récent d'Angelo Ventrone [2012]. Un numéro de la revue Storia e problemi contemporanei, codirigé par A. Martellini, A. Tonelli [2010] souligne, lui aussi, la nécessité de justifier les actes de violence par une stratégie de communication, qui est en soi un enjeu de pouvoir essentiel. La revendication des actes de violence devient un rituel, passant souvent par un tract laissé dans une cabine téléphonique indiquée par appel anonyme à la rédaction d'un quotidien local. Celui-ci justifie la violence commise contre les biens ou les personnes, au nom d'une légitimité supérieure et contraire à celle représentée par l’État. L'impression de peur n'est donc pas donnée par une menace qui frappe au hasard, mais au contraire par l'usage d'une violence qui se donne comme rétablissant une justice authentique.

Les slogans ou logos (comme l'étoile à cinq branches) concourent à donner une visibilité médiatique, ainsi que l'attention des BR à la mise en scène, au détail significatif qui sera amplifié par les médias. Une des trouvailles les plus fortes est le lieu où le cadavre d'Aldo Moro a été retrouvé, Via Caetani à Rome, à mi-chemin entre les sièges des partis communiste et démocrate-chrétien, phrase répétée en boucle dans les médias puis dans les livres d'histoire, mais géographiquement totalement inexacte!

La maîtrise de la communication passe aussi par la diffusion de photographies qui amplifient l'effet recherché. L'exemple de la photographie du juge Sossi diffusée quelques jours après son enlèvement par les BR, largement reprise par les journaux, comme le quotidien romain Il Messaggero, en témoigne.

Cette photographie, en une du quotidien romain, est emblématique de la stratégie du quotidien, qui porte une attention particulièrement grande aux événements et à la chronique des «années de plomb» et tend à théâtraliser les faits de violence [20]. Elle représente le juge Sossi assis bras ballants, mal rasé, dans une attitude résignée, un drapeau des BR avec son étoile distinctive en arrière-plan.

L’hématome présenté par Mario Sossi renforce le statut de victime, même s'il a été reçu accidentellement au moment de l'enlèvement. À propos de cette photographie, Mario Moretti, le chef du groupe, a ce commentaire: «l'objectif est de faire la photo, pour le montrer à un moment où il n'est plus le maître» [Levi Boucault 2011]. L'objectif donc est moins l'enlèvement en soi que le message qui sera largement diffusé, avec la mise en scène d'un rapport de pouvoir inversé. Cette démarche ne s'inscrit déjà plus dans un rapport de peur qui est personnel (faire peur à Sossi, et au-delà aux autres juges) mais démontre la volonté d'envoyer un message plus général, en se constituant symboliquement comme une force concurrente à celle de l’État «bourgeois» (logique renforcée par les «procès» intentés aux captifs). Donc de faire peur à une autre échelle.

Cette peur, qui est pensée comme pédagogique, implique une utilisation calculée de la violence, qui ne doit pas entraîner de condamnation massive de la part de la population, et doit donc être mesurée. Prospero Gallinari, par exemple, raconte [Levi Boucault 2011] de quelle façon l'enlèvement d'Aldo Moro a été planifié Via Fani, et non dans l'église où Moro allait écouter la messe, afin d'éviter un massacre inutile au cours de la fusillade. Le terme utilisé par Gallinari en italien est strage, référence limpide aux massacres perpétrés par les néofascistes. On peut y lire une claire volonté de prendre de la distance par rapport à une stratégie fondée sur la terreur selon des modalités différentes. De même en ce qui concerne l'emplacement finalement retenu pour l'embuscade, Gallinari explique qu'un fleuriste avait coutume d’arrêter sa camionnette précisément à l'angle où a eu lieu l'embuscade – et qu'un brigadiste est allé, dans la nuit, crever ses pneus pour éviter le risque d'ajouter à la liste une victime considérée comme innocente.

Cette économie de la violence ne renvoie toutefois pas à un scrupule moral, mais seulement à une volonté de contrôler le message véhiculé par l'usage de la violence, et en particulier la diffusion de la peur. En effet, Sergio Flamigni et Ilaria Moroni [2008] expliquent que l'enlèvement aurait pu avoir lieu lors de la promenade matinale quotidienne de Moro accompagné d'un seul garde du corps, mais que les modalités de l'attaque de Via Fani ont été déterminées en fonction de la volonté de diffuser les images spectaculaires d'un massacre (de l'escorte de Moro), mais pas d'un massacre de n'importe qui. La stratégie de la peur est bien pensée en fonction de ses effets sur l'«opinion», par la diffusion d'une peur ciblée.

La stratégie de la peur est donc une stratégie de communication qui manipule les émotions, dont le but est moins d'atteindre physiquement que psychologiquement. La «stratégie de la tension» et la violence diffusée par la lutte armée pratiquée par la gauche radicale renvoient à deux usages psychologiques différents de la violence «terroriste», qui correspondent à deux économies de la peur différentes: d'un côté une peur diffusée à travers une violence aveugle qui vise à une déstabilisation du système (le chaos), de l'autre une peur ciblée qui vise à contraindre, sinon à «convertir» personnellement. Dans les deux cas, l'arme de la peur se présente comme un recours, une solution «non conventionnelle», une transgression. Mais cette arme n'existe pas en l'absence de relai médiatique.

Diffuser la peur dans l'«opinion publique»: la peur, objet coconstruit

Médias et «opinion publique»

La question de la réception dans les médias est d'autant plus importante que la violence «terroriste» est une «forme de violence spectacularisée» [Sommier 2006], c'est-à-dire pensée en fonction de ses effets. Mais comment penser la diffusion de la peur, des représentations qui font peur, dans la société? Comment juger de l'état de l'«opinion publique»? Comment évaluer le rôle des médias, qui apparaissent à la fois comme reflet des préoccupations du temps et agent essentiel dans l'entreprise de «faire l'opinion»?

Il faut préciser que ce concept d'«opinion publique» pose problème: il semble renvoyer à une catégorie rigide dans les sources, en tant qu'«opinion» à laquelle il faut s'adresser. C'est particulièrement vrai dans l'optique des préfets, dont une des tâches traditionnelles est de faire remonter la température d'une «opinion publique» assez homogène. Dans un des comptes rendus mensuels du préfet de Pescara adressé au Ministère de l'Intérieur le 18 juillet 1970 [21], par exemple, l'auteur note que «l'opinion publique, dans son entier, est effrayée par la tournure inquiétante et désordonnée de la vie nationale et sociale, et s'adresse à la conscience de tous pour rétablir la discipline et l'ordre». Le préfet se fait ici porte-parole des préoccupations d'une «opinion publique» qui renvoie probablement plutôt à la frange de l'électorat en demande d'ordre. L'«opinion publique» ainsi entendue est donc liée à une vision en termes d'ordre public qui explique que les préfets se préoccupent beaucoup des «émotions» populaires.

Il faut souligner effectivement, en particulier à partir des réflexions de Pierre Bourdieu, que «l'opinion publique n'existe pas» [Bourdieu 1984], c'est-à-dire qu'elle n'existe pas en tant qu'objet d'étude homogène qu'on «décrit» par des sondages, mais qu'on la construit de cette manière. En réalité, il n'y a pas d'«opinion publique» monolithique, mais plutôt une sphère publique (fragmentée). Il ne s'agit donc pas de partir à la recherche de l'«opinion publique» à travers la presse, mais de chercher à comprendre comment celle-ci contribue à la mettre en forme. En quoi la presse contribue-t-elle à diffuser des représentations qui font peur, mais en même temps à fournir des cadres d'analyse qui permettront de rassurer, de décrypter la réalité?

La question de la «perception sociale du terrorisme» est abordée par Marica Tolomelli [2006] dans son étude comparée des terrorismes allemand et italien, et plus précisément «les modalités, les attitudes et les sentiments par lesquels les sociétés, respectivement italienne et allemande, se sont positionnées face au défi lancé par les groupes terroristes à l’État». L'auteure étudie les modalités complexes de construction d'un problème dans la «sphère publique» qui font que certains dysfonctionnements sont perçus comme des problèmes et d'autres non (pauvreté, exclusion des minorités, chômage). «Réception» sociale est donc synonyme de construction d'une problématique dans la «sphère publique», entendue comme un ensemble d'éléments de médiation, intermédiaires, entre les citoyens et le pouvoir politique. Les acteurs de cette sphère publique sont d'une grande variété: partis politiques, lobbies, mouvements collectifs, jusqu'aux individus. Dans ce cadre, la sphère médiatique est essentielle dans sa contribution à «faire» l'opinion.

La lente construction du «terrorisme» dans la «sphère publique»

Dans la perspective d'une «opinion publique» construite dans une tension (politique) pour «faire l'opinion», les médias occupent une position centrale. Les études qui ont abordé ce point [22] se concentrent pour des raisons de commodité sur les éléments les plus saillants, et notamment sur l'enlèvement d'Aldo Moro, feuilleton de cinquante-cinq jours qui a concentré l'attention de tous les médias italiens. Il convient pourtant de chercher à examiner les dynamiques de la violence politique depuis leur apparition dans la «sphère publique» italienne, en distinguant la manière dont sont perçus les actes imputables à la violence néofasciste ou au «terrorisme rouge».

L'attentat qui a frappé la Banca dell'Agricultura de la Pizza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969, est l'événement inaugural d'une suite de violences que l'historiographie qualifie, en reprenant un terme apparu dans la presse dès décembre 1969, de «stratégie de la tension». Cette stratégie de la violence indiscriminée mûrit pourtant dans les milieux d'extrême-droite depuis les années 1960, et une violence diffuse en grande partie attribuable aux groupe néofascistes très actifs (Panvini 2009) marque également ces années. L'attentat de décembre 1969 ne peut donc pas être considéré comme un événement sans précédents. Pourtant, son caractère spectaculaire et extrêmement meurtrier tranche avec les épisodes de violences connus auparavant et s'impose comme le point de départ d'une «stratégie», et d'une saison de peur d'intensité inédite.

Un exemple de précédent peut être donné avec le double attentat à la bombe le 25 avril 1969 à la Foire internationale de Milan et à la gare centrale, explosions qui ont seulement causé des blessures superficielles et des dégâts matériels. Encore une fois, rien de commun avec la violence meurtrière qui se déchaîne au moment de l'attentat de Piazza Fontana qui, bien que n'étant pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, est perçue comme un acte inaugural, dont le caractère spectaculaire s'impose d'emblée, ce dont se fait écho la sphère médiatique nationale. Les attentats d'avril bénéficient d'une faible couverture, avec, par exemple pour «L'Unità», un article d'un cinquième de page avec une petite photographie en une du journal. Dès le lendemain, on ne trouve plus trace de l'événement dans le journal. Le traitement de l'événement est très factuel et mesuré, ne comprenant ni attaque contre les auteurs présumés, ni appels à la répression étatique, comme si la violence contre les personnes était le fait d'une catastrophe naturelle. La tonalité est purement descriptive.

En revanche, les bombes du 12 décembre 1969 ont un impact extrêmement fort et bénéficient d'une couverture médiatique hors norme. Le «Corriere della Sera» du 13 décembre, le lendemain de l'attentat, titre: «Réaction émue de tout le pays. Énorme impression dans la capitale. Le gouvernement réuni d'urgence». Il poursuit:

La réaction à Rome a été unanime: effroi, consternation, mépris et un chœur de pressions, en provenance de tous les milieux politiques, pour que le gouvernement agisse, casse la spirale de la violence et mette fin à la chaîne des crimes qui se succèdent depuis maintenant trop longtemps. […] Ce qui s'est passé à Milan est effrayant. La synchronisation avec les attentats perpétrés à Rome est préoccupante. La violence ne peut pas rester impunie, si on ne veut pas que le tissu démocratique du pays se dissolve».

Cet article, première réaction au lendemain du drame, met bien l'accent sur sa dimension énorme, hors-norme. Tout concourt à laisser penser que l'acte est exceptionnel, malgré l'inscription dans une «chaîne des violences»: la focale est d'emblée placée à l'échelle nationale. Contrairement aux bombes de la Foire internationale de Milan, qui étaient décrites en termes d'abord locaux, on a ici la «réaction» de «tout le pays», de la «capitale», du «gouvernement», avec une précision croissante vers les lieux cruciaux du pouvoir. En somme, l'idée que tout le pays est touché, contrairement aux attentats d'avril, donne l'idée de destruction imminente de l’État, des institutions, bien plus que d'une peur personnelle, individuelle.

Entre les deux événements, un climat de peur s'est diffusé dans une strate de l'«opinion publique» bien plus vaste. Les journaux parlent de l'événement et de ses conséquences pendant des semaines. Cette déstabilisation majeure est donc due là encore à la transgression de la violence homicide, mais c'est la reformulation médiatique qui donne son potentiel destructeur à la propagande par la peur.

Le rôle des photographies a souvent été souligné [Almeida (d') 2010], présentant notamment les scènes d'attentat comme des théâtres de guerre. En revanche, un autre outil rarement mentionné mais concourant à la dramatisation de la reformulation médiatique est le dessin, comme celui-ci, publié lui aussi le lendemain de la bombe de Piazza Fontana à Milan.

Il s'agit d'une sorte de «vue d'artiste» qui fige l'attentat au moment même du choc, et fait donc revivre au spectateur l'explosion. L'effet de perspective redouble l'idée du piège infernal, les détails comme les corps projetés accentuent les effets de peur. Le dessin, s'il a une ambition explicative explicite, est un moyen de montrer ce que la photographie ne peut représenter, dans l'optique de produire un choc émotionnel.

Contrairement à la violence fasciste, qui avance masquée mais in medias res, la violence issue de l’extrême-gauche émerge en douceur, et frappe par grands coups d'éclat seulement à sa période de maturité. Il n'y a pas de choc inaugural, et les grilles d'analyse se construisent progressivement. La généralisation du terme «terrorisme» est liée à l'émergence des actions des groupes armés d'extrême-gauche dans le discours médiatique, très progressive.

On peut tenter de mener une étude quantitative autour de deux quotidiens dont les archives ont été numérisées et sont accessibles en ligne: «L'Unità» [23] et «La Stampa» [24]. Le graphique ci-dessous modélise le nombre d'articles qui comprennent à la fois le terme «paura» et celui de «terrorismo», par année.

On constate une inflation tardive de l'utilisation du mot «terrorisme», associé à l'expression de son corollaire: la peur. Malgré l'attentat de Piazza Fontana à la fin de l'année 1969, l'année 1970 n'est pas le point de départ d'un recours à ce terme. En revanche l'explosion constatée à partir de 1978 met en évidence que le «terrorisme» est associé à la lutte armée de la gauche radicale avant tout. C'est la généralisation des actes de violence, la multiplication des agressions physiques qui conduit à une véritable omniprésence médiatique. Le «terrorisme» s'affiche dans les journaux de manière de plus en plus massive, à mesure que se produit une escalade de la violence symbolique à la violence directe (gambizzazione) puis de la violence directe à l'homicide, qui assure une visibilité médiatique sans précédent, mais en proportion de la notoriété de la victime. Une escalade peut-être rendue nécessaire par la nécessité de se rendre visible médiatiquement, et donc de frapper plus directement la communauté par la peur. On passe de 4 articles comprenant ces deux termes en 1969 à 193 en 1979 pour «La Stampa», de 1 en 1970 à 561 en 1979 pour «L'Unità». Il faut signaler toutefois que certains articles peuvent éventuellement être relatifs à des phénomènes de «terrorisme» et de «peur» dans des contextes étrangers, mais le nombre d'articles dans l'absolu reste en soi témoin de la «peur» en général médiatisée par les grands quotidiens. D'autre part, la date clé de 1978 semble bien correspondre à la conjoncture italienne.

Malgré le fait qu'on ne puisse pas interpréter dans le détail ces articles en l'absence d'un dépouillement systématique, le constat d'une utilisation comparable du terme «terrorisme» s'impose à partir de 1974, et plus encore à partir de 1978, avant de connaître une décrue lente mais bien repérable. Partant de l'hypothèse classique qui veut que plus un terme est répété, plus il est considéré comme important, il faut constater un intense travail de l'«opinion publique» dans le sens d'une formulation de la peur, d'une mise en mots et en images, en musique pourrait-on dire, en spectacle. Le «terrorisme» s'affiche de plus en plus à la une des journaux, dans ce que le linguiste Patrick Charaudeau [2006] appelle un «procédé de focalisation, qui consiste à amener un événement sur le devant de la scène» par un «effet de grossissement […]. Dans la communication médiatique, le sujet qui informe étant légitimé par avance (contrat de communication), le propos véhiculé prend encore plus d’importance au point de faire oublier d’autres nouvelles possibles. Il impose une ''thématisation'' du monde». La mise en scène médiatique du phénomène du «terrorisme» concourt donc à la mise en forme de l'espace public, à la création des cadres d'une réflexion collective.

Pour autant, les effets de ces représentations sont difficiles à juger. On pourrait ainsi formuler deux hypothèses contradictoires: d'un côté, la prolifération d'articles, de grands titres, de photographies, de dessins, d'émissions radiophoniques et télévisuelles conduit probablement à une surexposition de ce qui est présenté comme le danger majeur pour la société italienne; d'un autre côté, cette reformulation médiatique peut contribuer à cerner, à poser des mots sur une menace, et donc à forger des expressions qui peuvent permettre de combattre la peur de l'inconnu (on a davantage peur de ce qu'on ne connaît pas). Le fait de qualifier ces actions de «terroristes» suffit du reste à les disqualifier, à mettre en avant le caractère non légitime de leur violence; y répondent des réaffirmations de légitimité d’État, dans le cadre d'une démocratie qui tente de reprendre en main la sécurité des citoyens, d'où la mise en place de contre-attaques efficaces. La peur de voir se dissoudre le tissu social provoque des réaffirmations constantes de cohésion de la collectivité. Et la lutte contre le «terrorisme» devient un outil majeur pour affirmer un but commun fédérateur. La question d'un épuisement de la logique terroriste peut donc se poser au début des années 1980.

Le concept de «terrorisme» s'impose donc en tant que catégorie d'analyse, construction qui ne cadre pas tout à fait avec la périodisation des violences elles-mêmes, en décalé et plus sensible à la violence émanant de la lutte armée de gauche. Les médias, de leur côté, apparaissent comme une composante nécessaire de cette spectacularisation.

Conclusion

La peur renvoie à l'étude d'un imaginaire social et politique, autant qu'à un mode opératoire, une modalité (violente, antidémocratique) de peser dans le débat public, et c'est cette recherche de mise en place d'un climat de peur maîtrisé qui fait la caractéristique des violences politiques pendant les «années de plomb». D'où leur caractère spectaculaire, et donc de violence médiatique, de violence exposée, dont la face cachée est une peur multiforme.

Les années 1970 ont été des années de transition, entre l'apparition d'une forme de pression politique par la violence spectaculaire d'un côté et la mise en place d'outils qui ont permis de faire décroître la peur de l'autre, c'est-à-dire, avant même des outils répressifs efficaces (arsenal judiciaire et policier), un langage, une capacité à rassurer, à combattre justement la peur sur son propre terrain. C'est ce qui arrive, principalement à partir de 1978, notamment après l'événement clé de l'enlèvement et de l'assassinat d'Aldo Moro, puis après l'assassinat du syndicaliste Guido Rossa en janvier 1979. Le discours des syndicats, l'unanimité des partis et des médias (jusqu'à Lotta Continua) dans la condamnation de la lutte armée amène une décrue nette.

La notion d'«opinion publique» prend une importance majeure au seuil de ces années, constituant un des fils rouges qui sert de toile de fond au «terrorisme», toile de fond sans laquelle, à l'image de l'écran de cinéma support de projection, il ne se passe rien. Si, comme le dit Stendhal, «un roman est un miroir qui se promène sur une grande route» [25], une étude sur la peur est un miroir qu'on promène sur la grande route des violences politiques, permettant de préciser leurs contours souvent laissés dans l'ombre.


 

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Note

1. Chiffres qui excluent les victimes des stragi, les massacres perpétrés par les bombes néofascistes.

2. Il s'agit du titre du chapitre de Simona Colarizi dans [Lazar, Matard-Bonucci 2010].

3. C'est l'objet de notre thèse en cours, dont l'intitulé exact est La peur dans la société italienne des ''années de plomb'', 1969 – 1982, effectuée sous la direction conjointe de Marie-Anne Matard-Bonucci à l'Université de Paris 8 et d'Angelo Ventrone à l'Université de Macerata.

4. Voir le colloque organisé par l'Université Paris I le 27 septembre 2013, Les sciences sociales face au complot, notamment les communications de Vanessa Codaccioni: Travailler sur la criminalisation d’une organisation partisane: le cas des “complots” communistes, et de Pascal Girard: Les complots politiques en France et en Italie de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1950.

5. Terme employé pour la première fois par le correspondant de l'hebdomadaire anglais «The Observer» le 14 décembre 1969, puis largement repris ou critiqué en Italie.

6. «Il timore di un colpo di Stato fu un elemento importante nel determinare un diffuso clima di tensione»: Panvini 2009, 61.

7. «Per parte nostra non crediamo che la situazione permetta la variante più negativa di una repressione generalizzata e ancor meno crediamo che l'Italia sia alla vigilia di un colpo di Stato»: Panvini 2009, 64.

8. «Ankara, Atene, adesso Roma viene»: Panvini 2009, 120.

9. Dominique Barthélémy par exemple [2009] ou Denis Crouzet.

10. Depuis le classique Lefebvre [1932], voir les travaux d'Arlette Farge ou Corbin [1990].

11. «I rapporti di prefetti e questori [...] testimoniano in questo caso dell'arroccarsi a destra di settori significativi degli apparati dello Stato»: Crainz 2003, 357.

12. Titre d'un article de Carlo Gregoretti paru dans «L'Espresso» du 20 juillet 1969.

13. Corrado Incerti, Lo scrigno nero dell'Aginter Press, «L'Europeo», 11, 2009.

14. De l'italien strage, «massacre».

15. «Implica la possibilità di uccidere, vecchi, donne, bambini. Queste forme d'intimidazione terroristica sono, oggi, non solo ritenute valide, ma, a volte, assolutamente necessarie per il conseguimento di un determinato obiettivo»: Panvini 2009, 23.

16. Le 31 mai 1972, une Fiat 500 qui semble abandonnée explose et tue trois des carabiniers qui étaient venus pour inspecter le véhicule. Vincenzo Vinciguerra s'est rendu à la justice spontanément en 1979 et a assumé la responsabilité de l'attentat.

17. «La guerra che ha per obiettivo le menti, le coscienze, i cuori e gli animi degli uomini, non i territori»: Zavoli 1992, 190.

18. Le rôle de l'ouvrage La strage di Stato [1970], publié anonymement, est important. Il a connu un grand succès et a popularisé l'expression «stratégie de la tension», en pointant la responsabilité de certains secteurs des appareils d’État – d'où son titre provocateur.

19. À propos du passage de la radicalité politique à la lutte armée, voir l'ouvrage récent dirigé par Simone Neri Serneri [2012].

20. Pour une reconstitution de la manière dont le journal est aux prises avec les événements de l'époque, se reporter à l'ouvrage de Vittorio Emiliani [2013], ancien journaliste puis directeur du quotidien.

21. Archivio Centrale dello Stato, Ministro dell'Interno, Gabinetto del ministro, 1967-1970, Busta n. 426, Fascicolo n. 16995/94, Relazioni mensili delle prefetture: «L'opinione pubblica, in uno, è ormai sgomenta per l'andamento inquieto e disordinato della vita nazionale e sociale, e reclama alla consapevolezza di tutti disciplina e ordine».

22. Notamment Tolomelli [2006] et Dondi [2008].

23. http://archivio.unita.it

24. http://www.lastampa.it/archivio-storico

25. «Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé‚ d’être immoral! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former»: Stendhal 1927, 232.